Matriarcat Trobriandais (Mélanésie) : la liberté sexuelle des habitants des îles de l’Amour

Les trobriandais sont un peuple de l’océan Pacifique de l’île de Kiriwina, dans l’archipel des Trobriands, situé dans le Massim, à l’ouest de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, près des îles Salomon. Leur vie nous apparaît paradisiaque. Ils jouissent d’une grande liberté sexuelle, sont d’une nature plutôt pacifique, et ne travaillent que 2 heures par jour.

Entre matriarcat et patriarcat

La société de Kiriwina est une société matrilinéaire et hiérarchisée. Les enfants appartiennent dès leur naissance entièrement au matrilignage, au clan de leur mère, et sont placés sous l’autorité de leur oncle maternel. Cette identité est connotée par des métaphores corporelles telles que « nous partageons le même sang et la même chair », ou « nous suçons le même sein ». Mais comme la résidence après mariage est virilocale, les enfants vivent avec leur père, sauf l’aîné des fils qui à la puberté ira résider auprès de son oncle maternel auquel il doit succéder.

Le sperme ne contribue pas à la conception de l’enfant

Comment est donc conçu un enfant aux îles Trobriand ? Pour les habitants des îles Trobriand le sperme ne contribuait pas à la conception de l’enfant. Les Trobriandais pensent que les enfants à naître sont incarnés dans un esprit appelé waiwaia qui, sous la conduite d’un ancêtre de leur matrilignage, arrive du pays des morts par la mer. Le waiwaia entre dans une femme par la tête et descend dans son ventre où il arrête ses menstrues afin de se nourrir de son sang pour se développer.

Le père, un étranger à la famille

Entre un père et ses enfants, il n’y a donc aucun lien de sang et de chair, aucune appartenance corporelle commune. Le père est appelé tomakawa, « étranger du dedans ». Cependant, si le père n’est pas considéré comme le géniteur, on dit qu’il modèle le foetus à son image par les coïts répétés avec la mère. Un père est supposé former ses enfants avec son sexe comme les sculpteurs mélanésiens taillent des statuettes en bois avec leur herminette. Les enfants sont ainsi extérieurement reliés au matrilignage de leur père par des traits de ressemblance et par un nom que leur attribue une tante paternelle lorsque leur mère revient dans la demeure de son mari après avoir accouché chez une de ses soeurs. Entre père et fils, pas de transmission de biens, pas de transmission de traditions non plus.

La vie sexuelle des sauvages du nord ouest de la Mélanésie

Par l’ethnologue Bronislaw Malinowski

Observation recueillies chez les indigènes semi-matriarcaux des îles Trobriands (Papouasie, îles Salomon) autour de 1916. Ils se marient, mais l’oncle maternel reste plus important que le père. Avant le mariage, la liberté sexuelle est très grande. Pendant le mariage, la liberté sexuelle est permise pendant certains jours de fête. La sexualité est cependant soumise à des règles complexes de droits et d’interdits. ==> Lire Malinowski et la liberté sexuelle, par Bertrand Pulman.

Livre publié en 1929. Aperçu des chapitres 1 à 4 :

  • La mère donne le sein jusqu’à ce que cela n’intéresse plus l’enfant (vers 3 ou 4 ans). Résultat : l’enfant de suce jamais son pouce de manière prolongée et surtout il se détache naturellement et plus profondément de la mère (adieu le complexe d’œdipe !) [Voir aussi une observation de Margaret Mead chez les Arapesh.]
  • Les petits enfants forment une « république des enfants », il vont jouer en groupe loin du village hors de la présence des adultes. Naturellement leurs jeux sont pour beaucoup centrés autour du sexe.
  • Les enfants plus grands font de même et commencent à avoir de vraies relations sexuelles dès 6 à 8 ans (adieu la période de latence !). Les parents parlent de cela avec bienveillance.
  • « Jamais des parents trobriandais n’intimaient d’ordres à leurs enfants en escomptant leur obéissance naturelle […] les indigènes n’ignorent pas seulement la rétorsion de principe et la punition systématique, mais celles-ci leur répugnent. »
  • Les adolescents ont à leur disposition des « maisons de célibataires » (bukumatula) où les couples, qui se font et se défont librement au fil du temps, dorment et font l’amour sans promiscuité. Les adolescents multiplient les expériences sexuelles avant de se marier librement avec la personne qui leur convient le mieux.
  • Les groupes d’adolescents (garçons ou filles séparément) font des « excursions amoureuses » (katuyausi) vers les villages voisins. Ils rencontrent dans la forêt le groupe de l’autre sexe provenant de ce village. Ils font la fête, les partenaires se choisissent et s’en vont faire l’amour dans les bois.
  • A l’occasion de festivités particulières les habitants ont des rapports sexuels collectifs sur la place du village.
  • Les trobriandais sont convaincus que « l’homme Blanc est incapable d’accomplir efficacement l’acte sexuel », c’est à dire de permettre à la femme de parvenir à l’orgasme, car ils éjaculent trop vite.
  • « Les indigènes jugent plus avantageuse la position accroupie, parce qu’elle gène moins les mouvement correspondant [du bassin] de la femme […] plusieurs Blancs m’ont cité le seul mot de la langue indigène qu’ils aient appris : kubilabala (« déplace-toi horizontalement ») ; on le leur avait répété avec une certaine impatience pendant l’acte sexuel ».

Majorité sexuelle :

On remarquera qu’il n’y a pas de majorité sexuelle chez les trobriandiais. Les enfants sont libres de disposer sexuellement de leur corps. Mais cela ne veut pas dire qu’ils entretiennent des relations sexuelles avec des adultes. Leur instinct naturel les poussent à choisir des partenaires de leur âge. Il est donc important de distinguer la liberté sexuelle, du viol, et de la pédophilie.

Les fêtes de l’amour

Texte et photos: Marc Dozier

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L’archipel des Trobriand en Papouasie-Nouvelle-Guinée célèbre, chaque année, les récoltes abondantes au cours de grandes réjouissances en l’honneur de la fertilité. Un étonnant ballet de séduction et de libertinage qui fait de l’archipel un véritable sanctuaire de l’Amour.

« Lune, lève-toi et éclaire mon chemin jusqu’au village de Gumlababa pour que j’aille y faire l’amour avec Sikwedoga. »

Avec autant de malice que d’enthousiasme, les adolescents du village de Okaikoda reprennent en chœur une ribambelle de rengaines coquines et de ritournelles érotiques jusqu’à ce que le souffle leur manque.

« Attention, ne pousse pas trop fort mon amour, tu vas cogner mes testicules qui risquent d’exploser ! »

entame un jeune éphèbe dont le couplet est immédiatement repris par la joyeuse compagnie.

« Mords donc mes cils et mes lèvres du bas ! »

répond une jouvencelle au rythme des chants syncopés et répétitifs.

Tout à coup, la cadence se brise : les garçons saisissent les filles par les hanches et simulent l’acte d’amour d’un mouvement parodique du bassin, suggestif et carnavalesque. Sans s’en offusquer, les adolescentes se laissent harponner dans un éclat de rire, alors que la ronde redémarre de plus belle sa course entêtante. Obsédants, les chants redonnent le rythme à la valse des amants, jusqu’à ce que les hommes pastichent à nouveau une étreinte, que le ballet ne s’emballe un peu plus encore et que les couples ne s’évanouissent, pour la nuit, dans l’obscurité lascive.

Marquant l’aboutissement d’une saison de travail harassant dans les champs, les récoltes abondantes promettent en effet une année heureuse, mettant la communauté à l’abri de la faim et des privations. Coïncidant avec la récolte des ignames, aliment hautement symbolique source de prestige et d’admiration, la célébration du Milamala marque l’acmé de ce culte au centre de toute la culture trobriandaise.

Des semaines de fêtes

Ballets libertins et chants sensuels, rassemblements et festins communautaires, jeux de cricket et régates se succèdent alors durant plusieurs semaines, enflammant les coeurs de toutes les îles. À l’est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée à laquelle les îles sont rattachées, l’archipel des Trobriand semble ramassé sur lui-même comme pour faire face à l’infini turquoise de la mer des Salomon qui baigne le nord de la province de Milne Bay. Ceinturée d’une dizaine d’îlots satellites, la terre principale de Kiriwina avec les îles toutes proches de Vakuta et Kaileuna, emprunte la forme d’un point d’interrogation, comme un clin d’oeil à l’avenir incertain.

Sur ces poussières de corail égarées au milieu de l’océan Pacifique, on subsiste en effet au jour le jour, installé dans de petites cases de palme organisées en villages bordés de jardins. La vie est on ne peut plus simple. Souvent dure. Parfois généreuse. Toujours laborieuse. Sans luxe ni effet de style. La survie des 12.000 habitants dépend ainsi essentiellement des récoltes annuelles d’ignames, à la base de l’alimentation trobriandaise, parfois agrémentée de taros, de noix de coco, de bananes ou de poissons.

Surnommées par Malinowski « les îles de l’Amour », les Trobriand forment en réalité une société aristocratique raffinée : si les intrigues amoureuses tiennent une place prépondérante, elles ne composent qu’un fragment d’une foisonnante culture basée sur le respect de lois, de castes et de tabous stricts, où les femmes – libres, respectées et influentes – constituent le pilier de l’organisation sociale.

Décadence vers le patriarcat

Pour rééquilibrer le père et la mère

Les trobriandais sont un exemple de peuple considéré comme matriarcal par les anthropologues alors qu’il pratique le mariage patrilocal. Mais il y a des règles très précise qui rééquilibrent le rapport de force entre la mère et le père qui lui, est chez lui. En particulier, c’est l’oncle qui continue de nourrir ses neveux et nièces, ce qui amène à de continuels transports de nourriture qui avait étonné les ethnologues. C’est logique, c’est celui qui paye qui décide, et si c’était le père qui nourrissait les enfants de son épouse, il aurait alors un levier de pouvoir (de chantage) sur elle.

Le sort des veuves et des adultères

Malgré tout, les trobriandais montraient des signes évident de dégénérescence patriarcale, qui s’observaient sur le sort réservé aux veuves et aux femmes adultères. Ainsi, si avant le mariage, la liberté sexuelle était totale, après, la rigueur puritaine était stricte, et Malinowsky rapporte le suicide d’une femme déshonorée pour soupçon d’adultère. De même, les veuves étaient séquestrées, mal nourries, et délaissées avec leurs excréments, pendant plusieurs mois après la mort de leur mari, pour qu’elles prouvent vraiment que leur liberté retrouvée ne les rendaient pas heureuse; et c’était seulement la belle-famille qui pouvait décider de la fin de ce deuil.

Mariage croisé patrilatéral

Autre cas de décadence typiquement patriarcale : les mariages croisés. Pour récupérer une partie de la dot que l’oncle maternel versait quotidiennement à ses nièces, il pouvait être tenté d’organiser un mariage entre un de ses fils (génétiques) et une de ses nièces (ou de lui-même avec sa nièce). Auquel cas, la dot qu’il verse à sa sœur, lui revient par celle que son neveu paye pour sa nièce, qui vit alors avec son fils. Dans ce cas-là, les enfants sont surveillés, interdits de sortir le soir à l’adolescence (la fille doit être vierge au mariage), fuguent pour vivre l’amour… bref, tous les symptômes habituels de nos sociétés patriarcales.