Morale puritaine patriarcale des contes de Charles Perrault et des frères Grimm

Si les anciennes légendes païennes décrivent des femmes puissantes et sexuellement libérées (exemple : la reine Dahut de la ville d’Ys), les contes de Charles Perrault (17e siècle) et des frères Grimm (18e siècle), font au contraire l’éloge de la chasteté et du mariage, à travers la mise en scène de princesses fragiles, qui attendent l’arrivée d’un riche prince charmant, en leur réservant leur virginité, et échangeant ainsi la beauté et la jeunesse de leur corps contre l’accès à un meilleur statut social, soit de la prostitution sacralisée par l’institution du mariage. Le mariage est le seul garant de la reconnaissance de paternité, fondement du patriarcat. C’est pourquoi la sexualité hors mariage est interdite, la chasteté et la virginité sacralisées.

Mariage et idéalisation : Cendrillon et le Prince Charmant

Cendrillon

Qui de souillon devient princesse en vendant sa beauté virginale.

Mariage = prostitution sacrée, ou l'ascenseur social cendrillonesque

Un conflit pour une reconnaissance de paternité : Le conte met en place l’accession à la reconnaissance paternelle d’un enfant auparavant rejeté grâce à une action montrant au grand jour ses qualités. C’est l’histoire toute banale d’enfants se disputant la préférence parentale, en essayant de se surpasser. Ce qui est reconnu par le père est la bonté ; c’est ce qui en fait un conte moraliste. La courtisane et la sauvage : Dans une optique sexualisante, et dans le cadre d’une critique psychanalytique, le conte présente deux images fondamentales et contradictoires de la femme tout en essayant de les réconcilier : l’idéal féminin, sublimé, la courtisane qui attire tous les regards durant la soirée; et l’image de la femme libre, sauvage et farouche après minuit. Par le regard masculin se dévoile une image épurée de la femme ; image selon laquelle la femme fuit le désir masculin qui la déchoit de sa vertu, lorsque celui-ci semble la « déshabiller du regard », ou la mettre dans son plus simple appareil. Les gravures de Gustave Doré pour les contes de Charles Perrault dévoilent bien cet aspect lors de la scène du bal : regards avides des hommes présents, infinie timidité de la jeune Cendrillon.

La pantoufle virginale : Pour que l’épreuve soit convaincante (essayer le soulier), il doit s’agir d’un soulier qui ne s’étire pas, sinon il pourrait convenir à d’autres jeunes filles, les demi-sœurs, par exemple. Un petit réceptacle où une partie du corps qui peut se glisser et être tenue serrée peut être considérée comme le symbole du vagin. S’il est fait d’une matière fragile qui peut se briser si on la force, on pense aussitôt à l’hymen ; et un objet qui se perd facilement à la fin d’un bal (…) peut passer pour une image assez juste de la virginité. Ceci est confirmé par le symbolisme de la chaussure dans les sociétés traditionnelles : « se laisser déchausser » équivaut à s’abandonner à un homme. On a très tôt regardé les petites pantoufles de verre comme une allégorie de la sagesse virginale ; il est certain qu’il y a, dans ce conte beaucoup de morale allégorique. Mais il apprend aux enfans qu’il y a des marâtres ; et les enfans le savent toujours assez tôt. Le mariage idéal : D’une manière générale, la chaussure est un symbole lié au « couple idéal » : l’expression trouver chaussure à son pied en est un témoignage, et de nombreuses pratiques superstitieuses étaient en rapport. Dans les Pyrénées centrales, les jeunes filles venaient mettre leur pied dans l’empreinte de saint Aventin de Larboust pour trouver un mari. Une guerre d’héritage : Sur plus de 200 versions recensées du conte dans le monde, un quart concerne des Cendrillon mâles. Un motif très conscient qu’a la marâtre pour faire disparaitre sa belle-fille : celui de l’héritage, « qui revient à l’enfant du mari et non à sa seconde femme ou aux enfants de celle-là ». Chez nombre de peuples, « c’est un garçon, un Cendrillon qui devient le souffre-douleur persécuté par sa marâtre » .

Blanche neige

Diabolisation des menstrues, pour une vierge docile, qui attend chastement son riche futur-époux dans un couvent.

Le conte décrit les étapes de la puberté chez la jeune fille :

La malédiction du sang féminin : La première reine, mère de Blanche-Neige, se pique le doigt et fait tomber trois gouttes de sang sur la neige blanche avant de mourir quelque temps plus tard en couche. C’est une scène au tout début de l’histoire, préparant la jeune fille à son avenir, qui fait écho à l’innocence de l’enfance qui se perd avec la couleur rouge des premières menstruations, et le début de la sexualité mais aussi de la possibilité d’une conception. Éducation au couvent : Recueillie par les sept nains, personnages à la fois masculins mais peu menaçants sexuellement, elle peut se développer dans un milieu chaste. Blanche-Neige fait son éducation de jeune fille auprès des nains asexués, en s’occupant des tâches ménagères mais en attendant « le prince charmant » qui la délivrera du désir sexuel qui l’étouffe, matérialisé par la pomme empoisonnée. La beauté, un enjeux de pouvoir : Une notion morale s’ajoute avec le fait que la mère, même si elle souhaite garder sa beauté et sa jeunesse, ascenseur social de la femme dans la société patriarcale, elle doit laisser la place à sa fille, plus jeune et donc plus désirable. La tentation sexuelle : la pomme, similaire à la tentation du Jardin d’Eden, représente le moment où l’adolescente accepte d’entrer dans une sexualité adulte, c’est-à-dire le moment où elle devient pubère. Le sommeil virginal : son désir sexuel est en sommeil en attendant le riche prince charmant qui viendra l’épouser. Vidéo : Chanson « Sonne » de Rammstein

Non seulement les nains la payent en diamants, mais en plus, ils ne la touchent même pas, et se la font prendre en fin d’histoire par un riche prince.

La belle au bois dormant

Diabolisation des menstrues, pour une vierge qui attend chastement son riche futur-époux.

Ce récit préparent les petites filles à la maternité et aux devoir d’épouses : menstrues, mariage, maternité…

Les diverses phases de la vie d’une femme : l’enfance, l’adolescence et la jeunesse représentée par la princesse, la mère représentant l’âge adulte, la fécondité et la grossesse, et la vieillesse incarnée par la Fée Carabosse. La malédiction du sang féminin : Malgré toute l’attention des parents et les dons prodigués par ses marraines, la petite fille est frappée dès le berceau, c’est-à-dire dès sa naissance, par la malédiction qui s’accomplira à son adolescence. Cette malédiction, marquée par le sang qui coule (une allusion à l’arrivée du cycle menstruel) a une origine ancestrale, symbolisée par la vieillesse de Carabosse. Le sommeil virginal : S’ensuit un repli sur soi (un sommeil de cent ans) et une forêt de ronces qui ne se lèvera qu’à l’arrivée du prince charmant, le seul à trouver la voie, à lever les obstacles et sortir la princesse de son sommeil grâce au baiser de l’amour.

Les valeurs bourgeoises de patience et de passivité chez la femme

La version de Perrault est la plus connue, elle s’inspire d’un récit plus ancien, Le Soleil, la Lune et Thalie, extrait du Pentamerone de Giambattista Basile, publié en 1634. Perrault en transforme néanmoins sensiblement le ton. Le conte de Basile, écrit pour un public aristocrate et adulte, met l’accent sur la fidélité dans le couple et l’héritage. Perrault quant à lui écrit pour un public de la haute bourgeoisie, inculquant des valeurs de patience et de passivité chez la femme.

Violée dans son sommeil et engrossée de force

L’intrigue contient d’autres différences notables : le sommeil n’est pas le résultat d’un sortilège mais est annoncé par prophétie, le prince ne réveille pas Thalie par un baiser mais la viole et la met enceinte dans son sommeil. Lorsqu’elle donne naissance à ses deux enfants, l’un d’eux lui tête le doigt, ôtant l’écharde de lin qui l’avait plongée dans le sommeil, ce qui la réveille. Dans cette version, l’histoire continue après le mariage du prince et de la princesse : la mère du prince, qui éprouve du ressentiment envers sa belle-fille, tente de la manger elle et ses petits-enfants. C’est finalement elle qui trouve la mort.

Le petit chaperon rouge

Ou les dangers de l’instinct sexuel.

Le Petit Chaperon rouge symboliserait le personnage de la petite fille aux portes de la puberté, le choix de la couleur rouge du chaperon renvoyant au cycle menstruel.

Le danger du sexe : Le village et la maison de la grand-mère sont des endroits sexuellement sûrs, chemin entre l’enfance et l’âge adulte. Pour arriver à destination, il faut emprunter un chemin qui traverse une forêt, lieu de danger où rôde le lubrique Grand méchant loup. La mère indique à la fille le chemin à suivre, le droit chemin de la chaste vertu. La fillette a une attitude ambiguë, puisque, faisant mine de se débarrasser du Loup, elle lui donne en réalité toutes les indications pour que celui-ci trouve la vertueuse grand-mère, et la mange… Arrivée à destination, la fillette voit bien que quelque chose ne va pas, (« Que vous avez de grandes dents ») mais… finit dans le lit du Loup… Le Loup, présent dans d’autres contes comme prédateur (Le Petit Poucet), est ici la figure du prédateur sexuel. Les menstrues puis le mariage : Avant de traverser la forêt, le Petit Chaperon rouge doit choisir entre deux chemins: celui de l’aiguille ou celui de l’épingle. L’aiguille qui sert à broder/repriser fait saigner. C’est l’apprentissage et la maîtrise des menstrues; le stade de l’adolescence. L’épingle est celle mise dans la coiffe de la mariée, le stade adulte. Par ces choix, la petite fille doit respecter les étapes. Elle ne peut se marier que si elle est nubile, mature. L’aiguille se distingue par son chas, symbole du sexe féminin. L’épingle, elle, se caractérise par sa tête, figurant le sexe masculin. En choisissant le chemin de l’épingle, le Petit Chaperon rouge choisit la voie qui mènera à sa défloraison.

Symbolique du dragon

On a tous entendu le qualificatif de « dragon », qui est poutant un mot du genre masculin, à propos de femmes, et seulement de femmes, qui ont de la personnalité, et qui ne se laissent pas faire. Elles sont donc de mauvaises épouses, car ce sont elles qui commandent à la maison et qui portent la culotte, qui ont donc un comportement viril; alors qu’une bonne épouse se doit d’être soumise aux désirs de l’époux. Dans nombre de mythes, le dragon est là pour empêcher le mariage. Le chevalier doit terrasser le dragon pour épouser la princesse : Tristan et Iseult, Siegfried, Jason et Médée, la Belle au Bois Dormant… Si Iseult accepte de suivre Tristan pour épouser le roi March, c’est parce que sa main était le prix du vainqueur du dragon. Tant que le Dragon n’est pas terrassé, le mariage ne peut être célébré et consommé. Le dragon semble représenter ici la non-conjugalité, le célibat, et la fornication. Le dragon, ou plutôt la dragonne, représenterait-elle la femme insoumise et libérée qu’il faut terrasser pour épouser? L’ère matriarcale serait donc diabolisée dans les consciences populaires par la figure du dragon, vestige d’une époque lointaine terrifiante et révolue, à oublier, et qui ne doit en aucun cas revenir. On remarquera le contraste des mentalités entre les anciens mythes païens, et les nouveaux contes de fée de l’ère chrétienne, Disney-esques, prêchant une morale puritaine aux petits enfants : la Belle au Bois Dormant, Blanche Neige, le Petit Chaperon Rouge… et autres cultes du « prince charmant », prônant ouvertement la chasteté avant le mariage, et mettant en garde contre les  »dangers » de la sexualité, et de la nature sauvage de l’homme.

Peau d’Âne, virginité, mariage forcé incestueux et vénalité du couple

Peau d’âne est un conte populaire, dont la version la plus célèbre est celle de Charles Perrault, parue en 1694, puis rattachée aux Contes de ma mère l’Oye en 1697. Ce conte expose toutes les tares du patriarcat et le contexte sociétal du 17e siècle.

Un mariage forcé incestueux

Mourante, une reine se fait promettre par le roi de ne prendre pour nouvelle épouse qu’une femme plus belle qu’elle. Mais la seule personne capable de rivaliser avec sa beauté n’est autre que sa propre fille, et le roi la demande en mariage. Le roi se résout à épouser sa fille. Prétextant la promesse qu’il a faite à sa femme défunte, il choisit d’épouser la princesse sans l’ombre d’un sentiment de culpabilité.

Le père prêt à tout pour coucher avec sa fille qui se sent donc souillée

« De mille chagrins l'âme pleine,Elle alla trouver sa marraine ».Illustration de Gustave Doré (1867)La fée marraine de l’enfant va dissiper tout malentendu en apprenant à la princesse à ne plus confondre les amours : on aime ses parents mais on ne les épouse pas ! Elle lui demande alors de sacrifier son âne qui produit des écus d’or et le roi s’exécute. La princesse s’enfuit alors du château, revêtue de la peau de l’âne. L’âne dont la princesse porte la peau était un âne magique qui déféquait des pièces d’or et faisait la richesse du roi. L’ultime demande de la princesse envers le roi, pour sa dot, est la peau de cet âne, ce qui se trouve être un sacrifice difficile pour le monarque, qui l’accomplit quand même. Elle emporte avec elle sa toilette et ses plus belles robes. La salissure ressentie par l’enfant est ici matérialisée par la peau d’âne, vêtement répugnant qu’elle choisit de porter et qui lui vaut son surnom – on ne connaît pas à cet égard son véritable prénom.

La richesse est le plus puissant des aphrodisiaques

Par la suite, elle devient souillon et s’engage dans une ferme. Le prince d’un autre royaume, où s’est installée Peau d’âne comme servante, la voit sans la reconnaître alors qu’elle était en tenue de princesse. Il demande alors que Peau d’âne lui fasse un gâteau. En faisant la galette, elle laisse tomber sa bague dans la pâte. Le prince demande immédiatement que toutes les femmes et demoiselles du pays viennent essayer la bague. Aucune ne peut passer la bague. Enfin on fait venir Peau d’âne… Le prince l’épouse et la princesse évite ainsi le mariage avec son père. Et son père se marie avec sa marraine la fée.

Virginité et mythe de l’âme-sœur

Comme dans Cendrillon, l’identité de la princesse sera révélée par une séance d’essayage : celle d’une bague, convenant au doigt le plus fin (celle d’une pantoufle au pied le plus fin dans Cendrillon), symbole de virginité. La séance finale permettra au prince d’éliminer toute relation impropre : les femmes de condition inférieure (mésalliance) sont éliminées en raison de leur doigt trop gros.